Transformation digitale et intelligence collective
Dans le cadre de notre réflexion sur « comment faire société autrement ? », nous donnons ce mois-ci la parole à Haga Rabekoto, responsable de la transformation digitale pour un grand groupe français. Il nous fait part de sa vision du lien entre transformation digitale et intelligence collective.
Pourquoi se transformer ?
L'intelligence artificielle a envahi notre quotidien. Technologies et domaines d'application sont divers et multiples. On va ainsi utiliser des algorithmes de reconnaissance d'images pour détecter des tumeurs en stade primaire de développement sur de l'imagerie médicale, mieux modéliser des comportements pour prévoir de façon plus précise de la consommation d'électricité, ou plus trivialement reconnaître automatiquement son chat sur ses photos personnelles… Si l'on peut parfois se questionner sur le bienfondé fondamental du déploiement d'algorithmes à outrance, en particulier la question du coût environnemental de l'utilisation énergivore d'une telle puissance de calcul, on ne peut nier la pression concurrentielle que les nouvelles entreprises technophiles type « start-ups » imposent au marché. Aussi la mise en œuvre d'une intelligence artificielle d'entreprise peut ressembler à un passage obligé. On parle alors de transformation digitale. De prime abord, ce concept peut paraît obscur pour certains. Ne dit-on pas que la technologie dominante évolue aujourd'hui tous les dix-huit mois ? Les années 2000 ne juraient que par Java et XML, alors que les années 2010 voient du Python et du JSON partout. Pourquoi donc un tel raffut pour le Big Data qui in fine ne permet que d'étendre notre puissance de calcul qui était déjà très avancée ? Y a-t-il un tel schisme technologique que des informaticiens ne sauraient intégrer quand bien même ils se sont adaptés pendant les cinquante dernières années?
Transformer son organisation, c'est à-à-dire ?
Les entreprises et les personnes ont toujours su, plus ou moins, s'adapter en fonction de la technologie et continueront à le faire. Mais on ne parle pas de simplement remplacer une infrastructure par une autre, mais de transformer nos façons de travailler. Car le mot le plus important de la transformation digitale est transformation. Au-delà de la mise en œuvre d'une certaine technologie, on s'attend ainsi à aussi bouleverser la façon dont l'entreprise s'organise, ce qui inclue les personnes et les processus. Pour mieux appréhender cette problématique de transformation, il faut se tourner vers les causes de ses échecs. Parmi celles-ci, deux touchent directement aux personnes : le manque de compétences des personnes, et le refus d'adoption. On imagine ainsi typiquement une organisation où les gens n'arrivent pas à utiliser les technologies à leur disposition, ou un projet, développé en chambre, qui va échouer car les opérationnels ne comprennent pas comment il fonctionne et ne savent pas le faire évoluer. Dans ces deux cas, tout se joue autour de l'organisation du travail des personnes en vue d'un objectif commun.
L'intelligence collective pour un projet réussi
On imagine mal trouver la perle rare qui présentera toutes les compétences techniques, humaines, commerciales et saura faire émerger le projet ex nihilo. Pourtant, tout ce spectre de compétences existe déjà bien dans l'entreprise. Souvent, on saura trouver au sein de ses collaborateurs des chefs de projet capables d'appréhender une problématique et de structurer une réponse sous la forme d'un projet potentiellement complexe ; des personnes aux compétences analytiques et mathématiques très fortes, mais qui manquent parfois de sensibilité métier, des opérationnels qui savent comment les choses doivent fonctionner et ont souvent la bonne intuition en fonction de la situation. Seule, aucune de ces personnes ne saura mettre en œuvre une solution d'intelligence artificielle d'entreprise. La tentation première va être de chercher des collaborateurs externes pour livrer le projet. Ainsi, nombre d'entre nous ont vu débouler dans nos couloirs une armée de consultants à grands renforts, de diaporamas et tableurs complexes, pour nous expliquer qu'ils allaient tout changer… pour bien peu de résultats concrets et satisfaisants. Cela s'apparente plutôt à nier l'héritage et la culture de l'entreprise, qui est ainsi organisée après une maturation longue sur laquelle il serait absurde de tirer un trait. L'enjeu sera donc d'arriver à organiser notre communauté à travers son intelligence collective. La logistique est éminemment complexe car nous avons besoin de transformer des processus pendant qu'ils continuent à tourner. On défend beaucoup aujourd'hui le développement agile, qui vise à ne livrer que de petites modifications mais très fréquemment. Ainsi, cela nous laisse l'opportunité d'essayer, prendre du recul, corriger et essayer à nouveau jusqu'à ce que l'on atteigne une cible jugée satisfaisante sans avoir besoin de tracer une trajectoire (fausse) au préalable. Bien sûr, il faudra de grandes adaptations de compétences, individuellement comme collectivement. Chacun devra faire un pas vers l'autre et sortir de sa zone de prédilection afin de comprendre les problématiques des autres. Cela pourra passer par de la formation académique ou se faire au cours d'échanges au sein même de l'entreprise. Ainsi, on va vouloir dépasser sa fonction et atteindre l'objectif collectif. Car ce ne sont plus nos tâches quotidiennes qui définissent notre rôle mais le sens de nos actions quelles qu'elles soient.
Intelligence artificielle ou ignorance artificielle
Enfin, il est délicat d'utiliser ce que l'on ne comprend pas. Pour ne pas sombrer dans l'ignorance artificielle, il sera crucial d'inclure les personnes dès les prémices de la transformation et de les accompagner ensuite. Aussi, un projet de transformation ne doit pas faire intervenir uniquement les collaborateurs stars. Pour accepter la transformation, le niveau d'information doit être uniforme pour évacuer les craintes et les fantasmes. Le niveau d'action doit également être élevé. Lorsque la nouvelle organisation sera en place, avec de nouveaux outils et processus, on attendra des personnes qu'elles restent actrices et soient capables de conserver un œil critique sur des processus automatisés et de développer de nouvelles idées. Au contraire, des personnes en situation de résistance passive pourraient laisser dériver des comportements pas adaptés au vue des objectifs de l'entreprise; voire refuser d'adopter un nouvel logiciel par exemple et développer localement une voie alternative. L'inclusion est donc clé pour faire vivre notre intelligence artificielle d'entreprise. Car au long cours, inclusion égale adoption. Haga Rabekoto