« Cher superviseur, je vous aime de toute la haine de mon cœur » :Le transfert, le contretransfert et l’ambivalence en intervention psychosociale
Vous l’aurez certainement compris, le titre de cette Lettre Info est un brin provocateur. Avec un peu de légèreté, j’ai l’intention de développer de façon succincte certains phénomènes psychiques susceptibles d’émerger dans le contexte d’une intervention psychosociale, notamment dans la Supervision et l’Analyse des Pratiques.
Si vous avez eu l’opportunité de participer à l’un de ces espaces, vous savez sûrement que lorsque l’on plonge dans les profondeurs de certaines situations professionnelles, on peut être vraiment étonnés par la nature et l’intensité des émotions qui remontent à la surface.
Et voilà, qu’au milieu de ces potentielles turbulences se trouve un vaillant superviseur, qui sera le réceptacle de toute sorte de contenus subjectifs de la part du groupe. Sa mission n’est, évidemment, pas sans « risque ». En se portant comme contenant de cette subjectivité, la perception que les participants auront de lui sera créée à partir de leurs désirs, leurs angoisses, leurs frustrations et tout type de contenus psychiques refoulés que lui seront attribués inconsciemment par le groupe.
Que représentera, donc, cet intervenant pour les participants ? Un messie qui guidera l’équipe au paradis des bonnes pratiques et de l’harmonie absolue ? Ou un intrus envoyé par la haute hiérarchie pour apaiser la colère d’un service en difficulté ? Est-il le plus intelligent des superviseurs avec ses interventions brillantes ? Ou se trompe-t-il toujours avec ses commentaires « à deux balles » ? Répond-il à mes attentes ou, au contraire, intensifie-t-il mes frustrations ?
La théorie psychanalytique, à partir des réflexions de Freud (1911), appelle cela le « Transfert » : un phénomène dans lequel les désirs inconscients s’actualisent sur un objet à travers la répétition de prototypes infantiles qui sont vécus comme appartenant au présent (Laplanche & Pontalis, 2007).
En fait, les éléments psychiques refoulés, qui restent peu ou non élaborés, se cristallisent sur la figure de l’analyste (ou de l’intervenant), donnant lieu à une relation particulière. Sur le moment, les participants n’ont aucune idée que ce « mirage » projeté sur la personne de l’intervenant n’appartient pas à la réalité factuelle mais à leur réalité subjective. Ce sera à l’intervenant de trouver la manière d’utiliser ce phénomène pour faire le lien entre la perception que le groupe a de lui et ce qui appartient à leur vécu subjectif.
Plus les éléments refoulés derrière le transfert sont crus, douloureux et intenses, plus le transfert sera tenace, radical et sera expérimenté comme une réalité. Au fur et à mesure que le travail d’élaboration avance, le transfert évoluera vers une version plus nuancée mais aussi plus complexe : le groupe sera finalement capable de tolérer l’ambivalence et leurs expériences seront moins enfermées dans des catégories « tout bon » ou « tout mauvais ».
Eh oui, l’expérience humaine peut être bonne et mauvaise en même temps, tout comme gratifiante et frustrante, teintée par le deuil des pertes de la vie et graciée par le bonheur de vivre… Oui : ambivalente… comme le lien transférentiel avec l’intervenant… Oui, ambivalent, aussi le participant qui hésite à aller à son groupe de supervision car il lui faut absolument gérer une urgence dans son service.
Dans cette dynamique transférentielle, l’intervenant a aussi une réaction subjective appelée contretransfert. Si son répertoire théorique inclut la notion de communication entre inconscients, il se servira de cette réaction pour mieux comprendre le message que le groupe essaie de lui transmettre. Un message sûrement énigmatique qui reste en attente d’un superviseur assez courageux qui ne craigne pas de se laisser haïr et/ou aimer par son groupe afin de le décrypter.
Angelo Persico, psychologue clinicien, superviseur, formateur
Freud, S. (1912). Sur la dynamique du transfert (Œuvres complètes, Vol. 11). Paris: PUF.Laplanche, J., & Pontalis, J. B. (2007). Dictionnaire de la psychanalyse. Paris: Presses Universitaires de France.
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