De l'univers-cité au monde du travail
Intervenant·e·s fraîchement diplômé·e.s, nous nous sommes interrogé.e.s sur nos parcours universitaires : nous ont-ils « bien » préparé à l'intervention psychosociologique ? La question, comme ses réponses, sont complexes et nous éviterons ici le mode dialectique pour la discuter. Nous préférerons un écrit à l'image de notre conception de notre métier : une représentation de sujets singuliers ; celle d'un groupe qui s'est formé autour de cette question ; sachant que cet ensemble d'acteurs est rattaché à une même institution, Expression. On retrouve le triptyque individu / groupe / institution, étonnant n'est-ce pas ?
Un petit échantillon de ce qu'il me reste de l'Université : parenthèse clinique Kévin Toupin : Certains professeurs universitaires restent, pour moi, des figures m'ayant accompagné sur le terrain lors de mes premières expériences d'intervention. Mes mots, ma posture et mon positionnement professionnel se calquaient sur les leurs puisqu'ils incarnaient mes modèles de référence de ce qu'est un « bon » psychosociologue. Ces « superviseurs internes » commencent à devenir des compagnons d'intervention plutôt que des figures surmoiques qui déterminent ma conduite. J'ai la sensation de m'émanciper (de mûrir ?) ce qui au moins aussi effrayant que nécessaire. Je crois que je découvre progressivement qu'on est le psychosociologue qu'on sait pouvoir être à défaut d'être celui qu'on voudrait paraître. A mon sens, l'université nous prépare bien à l'élaboration de notre pratique de terrain et à la compréhension des dynamiques de groupes. Cependant, la réalité du marché de l'intervention est peu abordée, ce qui laisse perplexe lorsqu'on arrive dans la vie professionnelle. J'entends par là que la dimension « relation-client », nécessaire au déploiement de son activité professionnelle, pourrait être davantage travaillée à l'université. Le monde professionnel nous confronte à une réalité : l'activité de psychosociologue n'est pas déconnectée des logiques politico-économiques du pays. Andrea Deseure : A l'Université, il s'agissait pour moi de transformer de la matière « brute » (les cours délivrés, le contexte : institutionnel, organisationnel, l'encadrement pédagogique, administratif..) et de lui donner sens ; d'un point de vue idéologique (mise en sens de différentes théories, courants de pensée) comme stratégique (mise en place de stratégies individuelles et collectives : de réussite, de défense...). Je retrouve dans mes interventions ce travail d'élaboration du sens, la différence notable étant ma posture, « agie » et peut-être même légitimée par ce parcours de mise en sens périlleusement formateur. Entre autres subtilités, l'anonymisation présente à l'Université, la responsabilisation des échecs comme des réussites, l'Institution peu contenante et soutenante, confèrent selon moi une grande liberté dans l'affirmation de soi. Liberté double, d'une part vertigineuse, que l'on peut assimiler à du vide ; mais qui a suscité pour moi de la consistance. Ce vide aurait été finalement contenant, car le nourrir a permis de m'affirmer en tant que sujet social, clinique, aujourd'hui légitime dans sa capacité à construire du sens à partir de l'incertain, du confus, du paradoxe. L'université doit nous former à la pratique d'un métier et le manque que j'identifie serait notamment du côté du réseau. Un certain entre-soi universitaire produit un manque d'ouverture vers la pratique professionnelle avec la réalité du terrain actuel. Parfois confiné dans la théorie, des réalités économiques, sociales, peuvent lui échapper. Aujourd'hui, je m'adapte à ce réel du terrain dans l'appropriation et non l'application des méthodologies et théories enseignées. Stimulant ce mouvement aussi inconfortable que fortifiant, je construis ma posture dans les groupes que j'accompagne, notamment en analyse des pratiques et supervision collective, aux côtés d'un réseau de pairs, intervenants pluridisciplinaires, ce qui favorise la mixité intellectuelle et des pratiques.
L'intervention psychosociologique est par définition « venir entre » dans des contextes et avec des acteurs vivants, mouvants, où le changement, la conflictualité, les représentations, imaginaires et fantasmes, les stratégies individuelles, groupales et institutionnelles se jouent, rejouent et se déjouent. Bien que l'Université soit un lieu de formation dont on déplore bien souvent le manque de pratique, nous noterons en tant que psychosociologue.s clinicien(ne)s que c'est aussi un lieu propice à l'analyse. Il s'agit pour nous d'une organisation au sein de laquelle on nous apprend à conduire des analyses psychosociologiques. Nous posons également des analyses sur le système, l'institution, les stratégies des acteurs, l'organisation universitaire et les enjeux dans lesquels nous sommes pris et partie prenante. D'ailleurs, nous ne sommes pas en reste lorsqu'il s'agit d'expérimenter les dispositifs d'implication (analyse des pratiques, régulation, sociodrame…). En cela, nous pouvons percevoir l'Univers-cité comme un condensé du monde du travail, un univers particulier qui s'appréhende avec la question de l'adaptation à un certain fonctionnement organisationnel (selon chaque université). C'est aussi le premier terrain d'analyse des clivages, des conflits d'intérêt, des différences d'appartenance aux Écoles, ce qui se poursuit dans le monde professionnel avec la complexité d'appréhender la diversité des courants de pensée chez des acteurs inscrits dans un même champ. A notre avis (qui se trouve être l'avis de référence auquel nous avons le plus volontiers tendance à nous ranger 1), le parcours universitaire ne nous donne pas les clefs mais les moyens pour intervenir. Il s'agit de trouver les ressources en soi et dans le monde pour mettre ces moyens en action ; en somme, l'Université nous apprend que nous sommes notre propre outil de travail et il conviendra de continuer à le forger et le mettre en énigme dans notre activité professionnelle. Peut-on parler d'un processus d'affirmation de soi ? Andréa Deseure, psychosociologue clinicienne et Kévin Toupin, psychosociologue & psychologue clinicien Avec la participation de Diane De Galembert, master 2 de psychologie des organisations et de la santé au travail, Dimitri Ratieuville, psychosociologue & psychologue clinicien, Léa Poirier, psychosociologue clinicienne en formation, master 2 pro.
1 Référence à P. Desproges
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