top of page

La régulation, ça fait peur !

La régulation institutionnelle est parmi les interventions psychosociologiques celle que j’affectionne particulièrement. Tout simplement parce que la régulation, c’est la vie ! Ici, il n’est pas question de positivisme, de ne partager que des bonnes nouvelles, mais au contraire d’éclairer les zones d’ombre, de mettre de la lumière là où il y a souffrance et manque de reconnaissance, perte de sens, de confiance et d’estime de soi. Alors comme la vie, ça fait peur ! Dans un contexte de transformations majeures du contexte socioculturel et de mutation profonde du cadre institutionnel, presque toutes les équipes que j’accompagne auraient besoin de régulation. Déjà en 1977, J. Barus Michel nous rappelait que : « Entre les appétits de pouvoir et les intolérances à la différence, entre les résistances et les exigences de la réalité, entre l’usure et le désinvestissement, les institutions éclatent ou épaississent et engluent toute vie. »1 et J. Oury de renchérir : « Indifférence, anonymat, interchangeabilité, grisaille ; stéréotypie des gestes, des paroles, des institutions ; monotonie qu’il faut bien relever par quelque clownerie »2. La régulation, qu’est-ce que c’est ? « Elle concerne le vivre ensemble, les phénomènes de pouvoir, les relations entre les individus, entre les groupes et sous-groupes, l’impact aussi de l’administration qui poursuit d’autres buts que ceux de la clinique. » nous dit C. Allione 3. Il s’agit d’une intervention non pas sur mais avec l’ensemble des acteurs concernées, dont l’objet est le : « Travailler ensemble », coconstruite presque « sur mesure » et « au fil de l’évènement »4. La régulation, ce n’est pas le « Fait d’assurer le fonctionnement correct d’un système complexe. », c’est remettre en mouvement un système figé dans ses logiques défensives.

Lors de la première phase de l’intervention, dite d’état des lieux, l’objectif est d’identifier et de rencontrer toutes les parties prenantes, sur un mode individuel ou collectif. Dans ce temps dédié à l’écoute et l’observation des demandes, nous explorons aussi les peurs, et elles sont souvent nombreuses. Quelques exemples récurrents :

  • De l’inertie, « ça ne peut pas changer », « ça ne changera rien »

  • De l’augmentation des problèmes, l’exacerbation des tensions, « la foire d’empoigne », « le règlement de comptes »

  • De l’instrumentalisation, « tout est déjà décidé, fixé à l’avance »

  • Du temps, que ce soit parce que « le dispositif arrive trop tard », ou le temps court associé au dispositif, ou le temps et l’énergie demandé dans un contexte souvent de surcharge de travail, « on n’a déjà pas le temps de tout faire ! ».

Qu’y a-t-il derrière ces peurs ? « Dans tous ces modes défensifs, on retrouve la peur de changer, de perdre certaines positions que l’on nie pourtant avoir, de perdre des pouvoirs, peur aussi pour l'équipe de se découvrir double, triple, incohérente alors que son univocité lui paraît vitale ; la culpabilité aussi par rapport à son institution propre : sentiment d’illégitimité en regard des engagements et des principes qui l’ont constituée et lui ont conféré sa place institutionnelle. »5 « La régulation n'a pas pour objet ni sans doute pour résultat d'améliorer l’ambiance ou d'accroître la productivité. Il s’agit qu’une équipe se cachant ses contradictions, brouillant ses propres pistes, envoûtée par ses craintes, puisse les assumer, les intégrer, les dépasser pour en aborder toujours de nouvelles. »1 La régulation c’est tenir un cadre qui va permettre de mettre des mots pour passer du conflit au désaccord. « Dans l'intervention, les contradictions s’abordent et s'absorbent (qu’elles soient dépassées, qu’elles soient transformées, qu’elles soient résolues, qu’elles soient consenties) dans la mesure où la démarche en est conduite progressivement, en suivant le mouvement du groupe qui comporte parfois des détours, des retours, des haltes. »1 C’est tout le sens du dispositif au fil de l’évènement : être à l’écoute des forces, toujours à l’œuvre qui peuvent venir contrecarrer l’effort de régulation et tenter de les transformer. Alors, la régulation est toujours une ouverture du champ des possibles, quand se libèrent la parole, les émotions, ne serait-ce qu’un peu : « Tout le monde a joué le jeu ; les relations de travail ont pu reprendre leur cours ; les choses difficiles ont pu être dites ; il reste encore du chemin à parcourir de part et d’autre ; Il est possible de parler de soi, d’exprimer ses besoins, sans colère ni larme ; l’équipe a maintenant une orientation et des valeurs communes ; il est possible de cheminer ensemble vers le futur » 6. Voilà pourquoi j’aime la régulation, c’est retrouver la vie qui circule au sein d’un collectif, capable à nouveau de dire nous, d’identifier des marges de manœuvre, de s’aménager un champ d’autonomie, d’élaborer des projets, de se remettre en mouvement vers l’avenir à titre individuel et collectif. La régulation pourquoi ? Comment ? Venez en débattre avec nous, lors d’une rencontre débat, le 10 février de 9h30 à 12h30 !

Laetitia Ricci, psychosociologue, coach et formatrice


1 J. Barus Michel : Le psychologue et l'institution pour une régulation institutionnelle ou de l'analyseur au régulateur Bulletin de psychologie, tome 32 n°339, 1979. Psychologie clinique III. pp. 207-219; 2 J. Oury : Dans La psychose, l'institution, la mort (2008), pages 1 à 49 3Allione Claude (2018), Vocabulaire raisonné de la supervision d’équipe, Toulouse : Erès (Psychanalyse et travail social), 334 pages. 4 Jean-Claude Rouchy, Intervenir au fil de l’événement, in Connexions, n°21, 1977, 5 Sabine Laurent : Légitimer la peur pour la dépasser Érès | « Les Cahiers Dynamiques » 2006/2 n° 38 | pages 72 à 74 6 Retours des participants sur nos interventions

Comments


bottom of page