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Parole - De l’évocation d’une rencontre subreptice entre clinique, personnel et spirituel

En sélectionnant ce seul mot de « Parole » comme titre principal de l’écrit qui nous réunit ici, j’en connaissais par avance son pouvoir sémantique : Parole…libératrice, donnée, accueillie, censurée, dévoyée...Mais aussi poétique, psychanalytique, politique…Sans parler d’absence, de prise, voire d’emprise… 


Mais de là d’où vous me lisez et du lieu où vous (avez) travaillez/ travaillé, je suis persuadé que vous saurez repérer à son égard l’endroit où se situe votre propre curseur. Dans l’espace d’écriture qui m’est réservé ici, soyez rassuré, je ne vais sûrement pas me lancer avec vous dans une analyse « psycho-socio-philosophico quelques chose » ni d’en faire un inventaire à la Prévert 1. 


C’est cependant sur un chemin, un petit sentier « de paroles et d’échanges de paroles » que j’aimerai bien vous conduire. 


Je vous propose donc ici le récit, et quelques pistes de réflexion, autour d’un moment partagé au tout début d’une séance d’Analyse de la Pratique Professionnelle (APP). Dispositif que j’animais au sein d’un Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) situé dans une importante métropole.


Cette séance était la dernière d’un cycle entamé quelques mois plus tôt. Une salle spacieuse nous était réservée. Arrivé avec quelques minutes d’avance, je m’installais à la place que j’avais l’habitude de prendre. Florence 2, accompagnatrice sociale au CCAS était la seule personne du groupe déjà présente à mon arrivée. Dans ce grand espace et dans l’attente de l’arrivée de ses collègues, nous débutâmes un échange des plus informels. Je lui demandai « comment ça va ? », sans autre intention que de remplir un peu cet espace qui nous réunissait. J’avais senti chez cette personne un fort investissement tout au long de nos séances et un réel intérêt dans le dispositif d’élaboration que je proposais. Cela m’avait incité à entamer en toute sérénité ce dialogue qui par la force des choses allait rester très succinct. Pas un seul instant je n’avais songé que nos quelques bribes de paroles échangées, d’apparence si anodines, auraient un tel impact sur moi. 


A mon innocente et banale question, Florence répondit : « C’est dur actuellement pour moi au travail ».  Je la relançai sur cette remarque dans laquelle je percevais une profonde lassitude. Elle m’indiqua alors une nette transformation constatée dans le contenu des entretiens individuels qu’elle menait au quotidien avec les bénéficiaires du CCAS dont elle avait la charge. Partageant avec eux leurs difficultés du quotidien, Florence percevait en effet que de plus en plus de situations évoquées par les usagers relevaient de « graves problèmes psychologiques, voir psychiatriques ». Ce constat paraissait lourdement l’affecter. Je me disais à cet instant que sa formation, ses missions au sein de ce CCAS ne devaient pas la prédisposer, l’armer pour affronter ce type de difficultés.


J’évoquais l’existence d’autres ressources, d’autres professionnels (CMPP, médecins traitants, psychologues…) pour accueillir cette souffrance. Mais Florence faisait simultanément le constat que toutes les ressources usuelles que je venais d’égrener se trouvaient fortement réduites sur son territoire.  Pour finir, c’était bien avec elle que les personnes partageaient majoritairement leur grande détresse psychique. 

La suite de notre échange me frappa. Elle me révéla par une simple phrase ce qui lui permettait de « tenir » face à cette souffrance quotidienne qu’elle recevait sans autre filtre. Toute en retenue, Florence me souffla discrètement qu’elle allait « régulièrement à l’Eglise pour prier ». 


Je compris par-là deux choses très distinctes : que prier à l’Eglise était d’une part sa manière de « tenir le coup » dans ce contexte dur, violent qui n’arrêtait pas de l’assaillir ; mais que c’était aussi un moyen pour elle de venir en aide, de tenter à travers ses prières de soulager la douleur entendue de la part des personnes rencontrées dans ses entretiens. 


A cet instant précis, plusieurs de ses collègues arrivèrent dans la salle. Sans autre formalité, Florence et moi avons refermé cette parenthèse. La séance d’APP allait bientôt commencer. A partir de ces paroles subreptices et de ce moment ténu qui nous a réunis Florence et moi, je tacherai de vous partager ici quelques très modestes fils que j’ai pu tirer. En premier lieu, cela me renvoie à mon activité d’animateur de GAP, là où l’oralité, la Parole – qu’elle soit exprimée, retenue, contenue – constitue mon outil premier. Viennent alors s’ajouter au gré des circonstances et des groupes rencontrés, l’expression d’émotions, de silences, de résistances et parfois aussi ce que j’appellerais à ma façon un peu poétique « l’ineffable » 3 . Ce que les théoriciens de la psychanalyse ont beaucoup plus sérieusement que moi baptisé d’un concept qui nous avons tous dû rencontrer au moins une fois dans notre vie et/ou notre carrière, à savoir le fameux… « Inconscient »! 5


Cependant, de manière moins instinctive, cela m’a amené à interroger le rapprochement de cet outil de parole sur lequel je m’appuie dans mon travail, à un horizon plus strictement spirituel au sens premier du terme, aux dialogues qu’une personne croyante peut avoir soit avec elle-même soit avec d’Autres (un être, une entité divine). A y regarder de plus près, bien des points communs, des similitudes me sont venus à l’esprit : la recherche d’un réconfort, d’une mise à distance, du soutien d’un groupe (de réflexion) /d’une communauté (de croyances) et parfois d’une rencontre avec cet ineffable que je viens d’évoquer. Et puis des souvenirs universitaires me sont revenus à l’esprit. Je me disais qu’au final j’étais bien bête de les avoir mis de côté et trouvais mes présentes réflexions bien naïves en songeant très prosaïquement que Sigmund Freud lui-même avait fait plus que balayer ce terrain (un simple coup d’œil à sa bibliographie devrait vous en convaincre 4).


A mon grand regret, en raison des contraintes matérielles qui m’ont été données pour m’exprimer dans cet espace, il m’est impossible de poursuivre cette esquisse de mise en parallèle entre « la Parole » telle que je la rencontre régulièrement dans mon travail d’Analyste de la Pratique et celle que cette professionnelle exprime dans ses prières, des paroles qu’elle s’adresse à elle-même et pour d’autres. Pour tous ceux qui voudraient aller plus loin sur cet ineffable que je n’ai fait moi-même qu’effleurer ici, je me permets une référence pour le coup massive vers les travaux de Didier Anzieu dont Le groupe et l'inconscient .


Pour conclure, je me demande : Sous quels angles d’analyse voudrais-je poursuivre ce parallèle esquissé ? Comme définir avec plus de précision ce « réconfort » dont les deux types de paroles seraient une éventuelle source ? Mais aussi les contours de ce mystérieux « ineffable » évoqué ?  Je vous laisse à mon tour la « parole » si l’envie vous vient d’imaginer d’autres pistes. 


Maxime Checinski, Intervenant formateur, analyse de la pratique professionnelle 


[1] Prévert, Jacques. Paroles Édition Revue et Augmentée. 1949. Le Point Du Jour.

[2] Le prénom a été modifié

[3] « Qu'on ne peut exprimer par des mots en raison de son intensité ou de sa nature » (Source : Dictionnaire Larousse)

[4] Par exemple : Psychanalyse et religion : la pensée de Freud (scienceshumaines.com)

[5] Anzieu, Didier Kaës, René (1999). Le groupe et l’inconscient l’imaginaire groupal (3ed.).




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