Renforcer le pouvoir d’agir par l’analyse des pratiques professionnelles (APP) ?
Que ce soit en tant qu’éducatrice spécialisée, cheffe de service, directrice d’un Sessad et aujourd’hui intervenante en analyse des pratiques professionnelles, ces dispositifs d’APP ont toujours fait partie de son expérience professionnelle. Aujourd’hui, Catherine nous partage certaines de ses réflexions et interrogations.
Si la formation continue est un levier pour les professionnels du secteur social, car elle renforce leur expertise, elle a besoin de s’appuyer sur la reconnaissance de cette expertise et la coopération avec les collègues. Les dispositifs d’analyse des pratiques professionnelles peuvent en faire partie.
Comment les professionnels qui accompagnent des personnes en difficulté sociale, peuvent-ils s’emparer de l’analyse des pratiques professionnelles pour développer leur pouvoir d’agir1 au sens d’Yves Clot ?
Quels leviers , quelles limites, quelles résistances ?
Yves Clot définit le pouvoir d’agir comme la capacité des individus à influencer leur travail, à agir de manière autonome et à transformer leur environnement professionnel.
Développer le pouvoir d’agir individuel et collectif c’est encourager les professionnels à participer activement à l’analyse des pratiques professionnelles, en identifiant les problématiques et en contribuant à la co-construction des solutions.
Toutefois, l’analyse des pratiques professionnelles peut parfois être difficilement vécue lorsqu’elle est la seule réponse apportée par la chaine hiérarchique aux difficultés des professionnels, voire à leur souffrance.
Dans ce dispositif, des résistances peuvent aussi émerger en raison de la peur de l’exposition personnelle des professionnels. Cette exposition est attendue en séance au travers du récit des situations mises au travail, récit de ce que ces professionnels peuvent vivre comme des erreurs ou des doutes, des fragilités individuelles. Cette mise au travail peut être lors ressentie comme pouvant menacer l’estime de soi, ou remettre en question des pratiques établies ou des évidences.
Autre limite, tous les professionnels d’une équipe ne sont pas nécessairement intéressés par l’analyse des pratiques professionnelles et le renforcement du pouvoir d’agir. Certains peuvent être plus enclins à cette démarche que d’autres.
Ainsi au sein d’un groupe de professionnels, des rivalités, des compétitions peuvent se révéler et certains peuvent résister pour préserver leur place au sein du groupe.
Les rivalités de leadership au sein d’une équipe peuvent créer une atmosphère de compétition nuisible, détourner l’attention des objectifs communs et entraver la collaboration, jusqu’à aller à la fragmentation de l’équipe autour de prises de position différentes. Ces rivalités peuvent compromettre la cohésion et la productivité de l’équipe et aussi se rejouer en groupes d’APP. La gestion prudente de ces dynamiques de leadership est alors essentielle pour promouvoir un environnement collaboratif.
La résistance au dispositif d’APP peut être également alimentée par une déconnexion perçue entre le pouvoir hiérarchique et les réalités du terrain, si les décideurs ne comprennent pas ou ne tiennent pas compte des défis du travail social. Les professionnels peuvent rejeter les initiatives d’analyse proposées au sein du dispositif quand il s’agit de difficultés à mettre en pratique certaines orientations. Parce que celles-ci sont considérées comme trop déconnectées de leur vécu et des besoins du public accompagner.
L’analyse des pratiques professionnelles peut favoriser le pouvoir d’agir des professionnels, si elle est abordée de manière collaborative et intègre les différentes perspectives du terrain.
L’approche d’Yves Clot suggère d’adopter des méthodes d’analyse qui favorisent la reconnaissance des expertises individuelles, la confidentialité et la participation active des professionnels dans la définition des problèmes et des solutions liées à leur travail.
En séance, l’intervenant crée un espace sûr où les professionnels doivent pouvoir se sentir en sécurité pour partager leurs doutes, leurs difficultés, leurs réussites et leurs émotions, un espace qui permette une expression authentique et la prise de recul.
L’intervenant aide à déconstruire les situations complexes en identifiant les éléments en jeu, les enjeux émotionnels et les dynamiques relationnelles.
La part de ce travail est cruciale pour favoriser la collaboration, le partage d’expériences entre pairs et ainsi l’apprentissage mutuel.
Il permet la découverte de nouvelles perspectives, la reconnaissance par les pairs des expertises et ainsi renforce le pouvoir d’agir individuel.
Cette reconnaissance joue un rôle clé, en particulier pour nourrir l’estime de soi. Les professionnels qui ont une estime de soi solide, sont souvent plus ouverts à partager leurs expériences, à les faire évoluer et ainsi à renforcer le pouvoir d’agir collectif.
Ainsi l’intervenant conduit un exercice délicat d’équilibre entre l’individuel et le collectif. Il favorise la reconnaissance des différentes motivations. Il soutient la différenciation car il permet à chacun de reconnaître ses compétences, ses forces et ses réussites, mais aussi ses limites et ses zones de vulnérabilité. Car renforcer la confiance de chacun en lui-même passe par la confiance dans le collectif.
Catherine Delacourt, Analyste des pratiques professionnelles, superviseuse
Laetitia Ricci, psychosociologue clinicienne, coach et formatrice
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